Last week, the French daily Le Monde published a paper written by French diplomats under the pseudonym of Le Groupe Marly, after the café where they first met. We were used to thinkers and writers meeting at Café de Flore a few decades ago. Café Marly seems to take over? Well, who knows in which Parisian café the Le Rostand group met! For Le Rostand was born a couple of days later, publishing their reply to Le Groupe Marly in Le Figaro. And another few days later, Le Groupe Camus took the floor in Libération (full text here). Let’s see whether the coming weeks shed light on a new “Groupe” of anonymous diplomats expressing themselves about French foreign policy!
Quite interesting to observe French diplomats trying to have their (own) word in foreign affairs, although they still choose anonymity. And to observe that in this Web 2.0 world, they still opt for the national daily press to reach out! Newspapers may not be so much at risk as we think they are?
- Texte du groupe Marly le 22-23 février dans Le Monde ci-dessous 1)
- Réponse du groupe Rostand le 24 février dans Le Figaro ci-dessous 2)
“La voix de la France a disparu dans le monde”
by the Marly Group
in Le Monde, 22 February 2011, reviewed version here, 23 February 2011, 9h56
Un groupe de diplomates français de générations différentes, certains actifs, d’autres à la retraite, et d’obédiences politiques variées, a décidé de livrer son analyse critique de la politique extérieure de la France sous Nicolas Sarkozy. En choisissant l’anonymat, ils ont imité le groupe Surcouf émanant des milieux militaires, dénonçant lui aussi certains choix du chef de l’Etat. Le pseudonyme collectif qu’ils ont choisi est “Marly” – du nom du café où ils se sont réunis la première fois. Ceci est leur premier texte public.
La manœuvre ne trompe plus personne : quand les événements sont contrariants pour les mises en scène présidentielles, les corps d’Etat sont alors désignés comme responsables.
Or, en matière diplomatique, que de contrariétés pour les autorités politiques ! A l’encontre des annonces claironnées depuis trois ans, l’Europe est impuissante, l’Afrique nous échappe, la Méditerranée nous boude, la Chine nous a domptés et Washington nous ignore ! Dans le même temps, nos avions Rafale et notre industrie nucléaire, loin des triomphes annoncés, restent sur l’étagère. Plus grave, la voix de la France a disparu dans le monde. Notre suivisme à l’égard des Etats-Unis déroute beaucoup de nos partenaires.
Pendant la guerre froide, nous étions dans le camp occidental, mais nous pesions sur la position des deux camps par une attitude originale. Aujourd’hui, ralliés aux Etats-Unis comme l’a manifesté notre retour dans l’OTAN, nous n’intéressons plus grand monde car nous avons perdu notre visibilité et notre capacité de manœuvre diplomatique. Cette perte d’influence n’est pas imputable aux diplomates mais aux options choisies par les politiques.
Il est clair que le président n’apprécie guère les administrations de l’Etat qu’il accable d’un mépris ostensible et qu’il cherche à rendre responsables des déboires de sa politique. C’est ainsi que les diplomates sont désignés comme responsables des déconvenues de notre politique extérieure. Ils récusent le procès qui leur est fait. La politique suivie à l’égard de la Tunisie ou de l’Egypte a été définie à la présidence de la République sans tenir compte des analyses de nos ambassades. C’est elle qui a choisi MM. Ben Ali et Moubarak comme “piliers sud” de la Méditerranée.
Un WikiLeaks à la française permettrait de vérifier que les diplomates français ont rédigé, comme leurs collègues américains, des textes aussi critiques que sans concessions. Or, à l’écoute des diplomates, bien des erreurs auraient pu être évitées, imputables à l’amateurisme, à l’impulsivité et aux préoccupations médiatiques à court terme.
Impulsivité ? L’Union pour la Méditerranée, lancée sans préparation malgré les mises en garde du Quai d’Orsay qui souhaitait modifier l’objectif et la méthode, est sinistrée.
Amateurisme ? En confiant au ministère de l’écologie la préparation de la conférence de Copenhague sur le changement climatique, nous avons abouti à l’impuissance de la France et de l’Europe et à un échec cuisant.
Préoccupations médiatiques ? La tension actuelle avec le Mexique résulte de l’exposition publique d’un dossier qui, par sa nature, devait être traité dans la discrétion.
Manque de cohérence ? Notre politique au Moyen-Orient est devenue illisible, s’enferre dans des impasses et renforce les cartes de la Syrie. Dans le même temps, nos priorités évidentes sont délaissées. Il en est ainsi de l’Afrique francophone, négligée politiquement et désormais sevrée de toute aide bilatérale.
Notre politique étrangère est placée sous le signe de l’improvisation et d’impulsions successives, qui s’expliquent souvent par des considérations de politique intérieure. Qu’on ne s’étonne pas de nos échecs. Nous sommes à l’heure où des préfets se piquent de diplomatie, où les “plumes” conçoivent de grands desseins, où les réseaux représentant des intérêts privés et les visiteurs du soir sont omniprésents et écoutés.
Il n’est que temps de réagir. Nous devons retrouver une politique étrangère fondée sur la cohérence, l’efficacité et la discrétion.
Les diplomates français n’ont qu’un souhait : être au service d’une politique réfléchie et stable. Au-delà des grandes enceintes du G8 et du G20 où se brouillent les messages, il y a lieu de préciser nos objectifs sur des questions essentielles telles que le contenu et les frontières de l’Europe de demain, la politique à l’égard d’un monde arabe en révolte, nos objectifs en Afghanistan, notre politique africaine, notre type de partenariat avec la Russie.
Les diplomates appellent de leurs vœux une telle réflexion de fond à laquelle ils sauront apporter en toute loyauté leur expertise. Ils souhaitent aussi que notre diplomatie puisse à nouveau s’appuyer sur certaines valeurs (solidarité, démocratie, respect des cultures) bien souvent délaissées au profit d’un coup par coup sans vision.
Enfin, pour reprendre l’avertissement d’Alain Juppé et d’Hubert Védrine publié le 7 juillet 2010 dans Le Monde “l’instrument [diplomatique] est sur le point d’être cassé”. Il est clair que sa sauvegarde est essentielle à l’efficacité de notre politique étrangère.
Lire la contre-enquête sur “la diplomatie française bousculée par la révolte arabe”, dans l’édition Abonnés du site et dans Le Monde daté du 23 février 2011 et disponible dans les kiosques mardi 22 février à partir de 14 heures.
le groupe “Marly”, un collectif qui réunit des diplomates français critiques Article paru dans l’édition du 23.02.11
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Réponse aux Diplomates anonymes
by the Le Rostand group
in Le Figaro, 24 February 2011
TRIBUNE – Un collectif de diplomates, «Le Rostand», souhaitant aussi garder l’anonymat, signe un texte en réplique à celui publié mercredi par Le Monde.
La manœuvre n’aura trompé personne: quand les temps sont durs, il est plus facile de se lamenter que d’agir. En signant – ou plutôt en ne signant pas – une tribune dans Le Monde , quelques diplomates anonymes viennent courageusement d’apporter leur pierre au mur de critiques qu’il est aujourd’hui de bon ton, dans les salons ou les cafés chics parisiens, d’édifier contre la politique étrangère française.
Ce petit groupe de beaux esprits diplomatiques s’est donc réuni dans l’un de ces lieux prisés, pour débattre gravement de son sort dans la République sarkozienne. Orfèvres autoproclamés de leur métier, ils ont décidé de faire connaître au monde qu’ils sont mécontents. De quoi au juste? Ils se sentent méprisés. Ils ne sont pas écoutés. Eux qui seraient donc les seuls professionnels, sages, cohérents, épris de valeurs nobles et humanistes. On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même.
La France paierait donc aujourd’hui la facture d’avoir négligé de pareils talents. Ah, si on les avait écoutés! Si on avait lu attentivement tous les «télégrammes»! La France aurait prédit la chute des dictateurs arabes. Mieux, elle n’aurait pas frayé avec ces régimes honnis que le monde entier considérait pourtant comme interlocuteurs. Si on les avait laissé faire, Copenhague aurait été un triomphe et la température baisserait déjà un peu partout. Le Moyen-Orient serait en paix. Florence Cassez coulerait des jours heureux dans son Nord natal. Bref, le monde serait meilleur. On aurait tout prévu, on ne se serait jamais trompé. Le monde entier aimerait la France et attendrait, trépignant d’impatience, que s’élève chaque jour sa «voix».
Au lieu de cela, à cause des «options choisies» par le pouvoir politique, notre pays subirait une «perte d’influence» sans précédent. Ce sont pourtant ces options qui ont sorti l’Europe de dix années de crise institutionnelle, qui l’ont sauvée de l’effondrement économique à l’automne 2008, qui ont empêché en 2010 que les crises grecque et irlandaise n’emportent l’euro, gage de prospérité sur notre continent. C’est grâce à ces mêmes «options» qu’est né le G20 et que prend enfin corps, en accord avec une Allemagne longtemps réticente, l’ambition française d’un gouvernement économique de l’Europe.
Bien sûr, à côté de ces résultats reconnus, la diplomatie française a aussi connu des échecs. C’est le propre d’une action internationale dynamique, volontariste, qui préfère agir dans le monde réel, plutôt que se complaire dans le miroir de ses discours. Nombreux sont aujourd’hui les agents du Quai d’Orsay – de toutes affinités politiques – qui adhèrent à cette diplomatie dépoussiérée et tournée vers l’action.
D’ailleurs, les amis du «Marly» ne lui rendent-ils pas un hommage implicite en omettant plusieurs de ses initiatives majeures? Le traité de Lisbonne, la présidence française de l’Union européenne, les accords de défense avec l’Angleterre, la Géorgie sauvée de l’invasion et préservée dans son indépendance, les partenariats stratégiques avec l’Inde et le Brésil, les fondations d’un vaste espace commun avec la Russie, en Afrique la réconciliation avec le Rwanda, la refonte de nos accords de défense et le soutien déterminé à la démocratie ivoirienne, la fermeté lucide face à l’Iran, les initiatives à l’ONU sur le contrôle des armes ou les droits des homosexuels, pour ne citer que ceux-là.
Derrière ce dénigrement péremptoire, comment ne pas voir la main d’une petite camarilla de frustrés? Elle a laissé sur son pamphlet des traces de doigts qui les désignent. Qui sont-ils?
Les héritiers d’une caste endogame qui pense que le pouvoir politique doit s’aligner sur les notes de fonctionnaires infaillibles. Comme si dans le monde moderne, le jugement pouvait se former sans s’ouvrir à d’autres idées, à d’autres avis, à d’autres tout court? Comme si ce n’était pas à l’autorité politique élue de fixer le cap, et aux diplomates de l’atteindre.
Les gardiens du temple lézardé ensuite. Il faudrait revenir à un passé mythifié où la France ne pouvait exister qu’en s’opposant à l’Amérique, en se tenant à mi-chemin de tout le monde, c’est-à-dire nulle part, quand diaboliser l’Otan tenait lieu de réflexion. Meilleur moyen, sans doute, pour garantir notre audience auprès de nos alliés. «L’Afrique nous échappe», disent- ils aussi. Devrait-elle nous appartenir encore? Et faudrait-il aujourd’hui avoir la nostalgie d’une Afrique de papa tenue dans la dépendance d’une aide dont on connaît le bilan, où le clientélisme tenait lieu de politique?
Et bien sûr, enfin, les chevau-légers de la Rue de Solferino, dont les objectifs ont peu à voir avec la diplomatie française, et tout avec des manœuvres de couloirs. Car nul ne doute que ces anonymes d’aujourd’hui sauront demain revendiquer la paternité de la charge, si les urnes devaient en 2012 conduire à l’alternance qu’ils préparent déjà au lieu de travailler.
C’est vrai pourtant, depuis près de dix ans, la diplomatie française a vu ses moyens se réduire de manière anormale et c’est tout l’État qui en a été affaibli, ceci pour un gain budgétaire infime. Il faudra redonner à cette grande administration des moyens de fonctionnement à la hauteur de ses missions, et savoir enfin reconnaître les mérites individuels. C’est ce que nous attendons aussi du chef de l’État.